Pour une médecine traditionnelle améliorée

La médecine africaine dite “traditionnelle”, finalement c’est quoi?

Par le Comité Directeur

Dans de nombreuses régions d'Afrique, un traditpraticien, un guérisseur traditionnel ou encore tradithérapeute mais aussi une sage-femme de village représente la première personne ressource vers qui se tourner en cas de maladie. La Médecine Traditionnelle Africaine (MTA) est utilisée depuis des siècles pour améliorer le bien-être des populations, et elle continue de jouer un rôle essentiel dans les soins de santé. Le système traditionnel de santé s’inscrit dans une prise en charge holistique de la maladie. De fait, le traitement peut inclure une composante spirituelle et/ou religieuse et inclure l’usage de parties de plantes médicinales, de champignons, de minéraux et d’animaux. Selon une estimation de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 80% des personnes recourent à la médecine traditionnelle dans les pays d’Afrique. Ce n'est qu'en cas de complications graves que de nombreuses personnes parcourent de longues distances jusqu'à la ville pour consulter des médecins formés à la médecine dite moderne qui prescrivent des produits pharmaceutiques. Ainsi dans la majorité des pays africains, les soins de base sont assurés par un réseau de guérisseurs locaux, dont le savoir empirique sur les préparations végétales estimées comme efficaces, est transmis de générations en générations.

Vers une définition de la médecine “traditionnelle”

La médecine traditionnelle, également appelée médecine populaire, ethnomédecine, guérison autochtone ou encore médecine complémentaire et alternative dans les pays occidentaux, peut être définie comme tout système de soins de santé historiquement ancré dans une culture. La médecine traditionnelle africaine (MTA) est transmise oralement. Nombre de connaissances peuvent être détenues et utilisées par un cercle limité de “spécialistes”, mais la MTA est aussi (et peut-être d’abord) un ensemble de savoirs populaires, une part essentielle de la culture familiale africaine. Les raisons qui peuvent pousser le patient à recourir à la MTA sont en premier lieu d’ordre culturel et souvent financier, mais peuvent également être liées aux croyances, à un accès limité aux soins conventionnels, ou encore à une perception négative des structures de santé orthodoxes. Notons aussi que le très grave problème de la qualité des médicaments de synthèse disponibles en Afrique[1] pousse aussi au recours à des produits locaux parfois plus facilement contrôlables.

Si l’on considère la formidable diversité culturelle que représentent les 54 pays africains, la MTA fait référence à un système médical indigène vaste et diversifié. Dans un contexte aussi multiforme, il n'existe pas de définition unique et universelle du terme. Afin d'éviter tout malentendu, la médecine traditionnelle ne signifie pas "ancienne", mais fait plutôt référence à un savoir médicinal qui a été, et est constamment re-produit, de telle sorte qu'il incarne les traditions d'un peuple ou d'une communauté. Le terme "traditionnel" se réfère à un savoir intergénérationnel, qui est produit, maintenu, modifié, renouvelé et développé collectivement, afin de donner un sens à la vie, à la mort et par analogie à la santé, à la maladie. Ainsi, le caractère collectif et communautaire des connaissances traditionnelles est essentiel pour qu'elles soient "traditionnelles".

En essayant de donner la définition la plus acceptable et la plus consensuelle, l'OMS propose la définition suivante : La médecine traditionnelle est " l'ensemble des connaissances, compétences et pratiques fondées sur les théories, croyances et expériences indigènes de différentes cultures, explicables ou non, utilisées pour le maintien de la santé, ainsi que pour la prévention, le diagnostic, l'amélioration ou le traitement des maladies physiques et mentales."

Le traitement à base de plantes

Considérant la diversité des croyances et pratiques qui se retrouvent dans l’exercice de la médecine traditionnelle africaine, l’usage des plantes médicinales en représente un aspect primordial. Une grande majorité des recettes traditionnelles sont préparées avec des plantes médicinales, tandis qu’une petite proportion inclut l’usage d’eaux, d‘huiles, de minéraux et de parties animales, seuls ou combinés avec des plantes.

Le recours aux plantes médicinales est un composant essentiel dans la prise en charge du patient par le tradithérapeute. Ce dernier fait usage des plantes, afin de soulager les maux du patient, qu’ils soient d’ordre naturel (par exemple un agent pathogène ou les changements de saison) ou surnaturel (par exemple la sorcellerie).

La partie végétale du remède à base de plantes peut provenir de toutes les parties de la plante : feuille, tige, écorce, fruit, graine, racine, fleur, plante entière et gomme/résine. En général, dans les zones rurales, le tradipraticien récolte ses propres plantes dans les peuplements naturels du voisinage, contrairement à celui qui pratique en milieu urbain. Dans ce dernier cas, le matériel végétal provient soit d'un vendeur d'herbes, soit d'un voyage en zone rurale pour reconstituer le stock de plantes médicinales. La culture des plantes médicinales dans la pratique médicale indigène n'est pas très répandue. Cela peut s'expliquer de plusieurs manières : soit l’abondance de certaines plantes sauvages n’en justifie pas la mise en culture, soit cette mise en culture s’avère difficile ou impossible. Sans compter que les praticiens traditionnels considèrent souvent que les plantes cultivées sont moins puissantes que leurs homologues sauvages. La collecte du matériel végétal est souvent accompagnée de rituels.

(1) Récolte en milieu naturel d’une partie végétale (racine) d’un arbre.

(1) Récolte en milieu naturel d’une partie végétale (racine) d’un arbre.

Après la récolte, les parties de plantes sont soigneusement lavées, puis séchées à l’air libre dans un endroit ombragé.

Après la récolte, les parties de plantes sont soigneusement lavées, puis séchées à l’air libre dans un endroit ombragé.

Il existe différents modes de préparation du remède à base de plantes. Cependant, les infusions, les macérations ou décoctions aqueuses sont les formes les plus fréquentes. Les autres modes d'administration courants sont les inhalations, les massages, les bains, la consommation directe, les fumigations et les clystères anaux.


Médecine traditionnelle et santé publique: la Stratégie de l’OMS

En 1978, la déclaration d'Alma-Ata sur les soins de santé primaire a été la première reconnaissance officielle par l’OMS du rôle des praticiens traditionnels et de la médecine traditionnelle dans la réalisation de l’objectif de “la Santé pour Tous”.  C'est précisément en raison de ce rôle majeur que l'OMS a recommandé de prendre en compte la médecine traditionnelle et les tradipraticiens dans la mise en œuvre de la stratégie des soins de santé primaire. Ainsi, la médecine traditionnelle est devenue dès lors un partenaire « officiel » d'une politique de santé renouvelée.

En 2000, le Comité régional africain de l’OMS a adopté la Stratégie régionale pour la promotion du rôle de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé (document AFR/RC50/9). Une ligne directrice internationale sur la manière dont la médecine traditionnelle devrait être évaluée fut élaborée. Dès lors, la première Décennie de la médecine traditionnelle africaine (2001-2010) fut lancée. Ceci fut une étape critique dans la reconnaissance de la médecine traditionnelle, son développement rationnel et son intégration dans le système de santé publique à travers l'Afrique. Ainsi, au cours de cette décennie, la médecine traditionnelle africaine devait être promue et intégrée dans les systèmes de santé nationaux, afin d'améliorer les conditions de santé de la population. En 2003, le 31 août fut déclaré comme la “Journée Africaine de la Médecine Traditionnelle”, afin de promouvoir le rôle de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé nationaux africains.

En 2013, la deuxième Décennie de la médecine traditionnelle africaine (2011-2020) fut officialisée. Un appel fut lancé aux pays africains membres, afin qu’ils renforcent le processus d’intégration et de prise en compte de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé publique. Cela implique, entre autres, la production de preuves scientifiques témoignant de l’innocuité et de l'efficacité des remèdes à base de plantes. Une stratégie régionale actualisée sur le renforcement du rôle de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé fut élaborée pour une période de 10 ans (2014-2023).

En réponse à ces résolutions internationales, plusieurs États africains ont recommandé, généralement dans le cadre d'une redéfinition de leur politique de santé, la valorisation de la médecine traditionnelle.

Pour une valorisation de la médecine traditionnelle

Cependant, dans la majorité des pays africains, on observe encore aujourd’hui, une méfiance mutuelle entre les systèmes de soins conventionnels et traditionnels. Ceci peut s'expliquer par l'insuffisance d'examens approfondis des méthodes indigènes et de leur efficacité, par un manque d’investigation en matière de toxicité des remèdes traditionnels, ainsi que par une grande variation des pratiques de guérison. S’ajoute à cela, le secret : cette partie occulte qui entoure souvent la pratique du tradithérapeute. Cet aspect est responsable d’une certaine opacité dans la prise en charge thérapeutique et peut rendre les résultats de guérison questionnables. Il faut cependant souligner qu’un grande majorité des recours à la médecine traditionnelle se fait dans le cadre familial, sans intervention d’un thérapeute spécialisé et d’une manière très ouverte.

En mettant en place des instruments de réglementation pour l'utilisation et la pratique du savoir traditionnel africain, le processus de valorisation a pour objectif de conférer à ce système de santé "hétérogène" un cadre standardisé, qui s'aligne sur un cadre conventionnel. L'objectif final étant que des remèdes traditionnels sûrs et efficaces démontrent que la MTA peut être considérée comme une option de soin fiable. L'évaluation scientifique de la médecine traditionnelle s'aligne sur les stratégies et résolutions internationales émises par l’OMS et vise à garantir une utilisation sûre et efficace des remèdes à base de plantes par le biais de leur évaluation clinique et pharmaceutique. L'objectif de la validation scientifique est de faire de la médecine traditionnelle un système médical répondant à des normes biomédicales objectives, afin de remplir les cinq critères fixés par l'OMS : sécurité, efficacité, qualité, accès et utilisation rationnelle de ses remèdes. En ce sens, la promotion scientifique de la médecine traditionnelle vise le développement et l’usage de produits médicinaux contrôlés à base de plantes.

Et Alter Africa dans tout cela?

Alter Africa, c’est une association de personnes qui portent en elles la volonté de participer à la construction d’une Autre Afrique. Alter Africa, c’est croire qu’une Autre Afrique est possible, celle où le développement endogène permet un épanouissement des potentialités locales, celle où l’existant a de la valeur. Participer à la valorisation du savoir indigène et de l’usage local des plantes médicinales, c’est s’engager à faire briller de mille feux la richesse culturelle unique d’une région et sa population. C’est avoir le regard porté vers sa propre culture. C’est rêver, non pas d’un ailleurs fantasmé, mais d’un ici renouvelé et valorisé. A cet égard, le savoir médical indigène, qui s’est accumulé, transmis et transformé imperceptiblement jours après jours, représente un lot de connaissances pointues des plantes et leur environnement. Il véhicule une identité culturelle, baigné par un ensemble de croyances et englobant des pratiques médicales répondant aux défis qu’impose la maladie.

La fréquence du recours à la médecine traditionnelle nous force à considérer ce système médical indigène comme un relai important dans les soins de santé primaire. En effet, puisque nous savons que 60% de la population de l'Afrique subsaharienne vit dans des régions rurales où les soins de santé conventionnels sont rares et de qualités souvent discutables, le rôle que tient la médecine indigène comme option de soins  est d’autant plus important. Dans les zones rurales ou périurbaines, la médecine traditionnelle représente souvent le principal service de soins de santé primaire.

Alter Africa aborde les pratiques et savoirs thérapeutiques traditionnels avec humilité, respect et considération. Nous souhaitons contribuer à faire de cette toile de connaissances empiriques un formidable tremplin pour l’amélioration des conditions de soins et de santé de ses usagers. Alter Africa veut agir pour la promotion d’un usage validé de la médecine traditionnelle. Ainsi, en garantissant un usage contrôlé du remède traditionnel, chacun et chacune peut bénéficier de phytomédicaments, dont la qualité et l’efficacité ont été établis scientifiquement et jouir d’un traitement dont l’innocuité est garantie. En ce sens, l’action militante d’Alter Africa porte sur le droit à la santé pour TOUS et plus précisément, sur la nécessité de garantir un accès à un service de soins de qualité.

Nous sommes convaincus qu’en soutenant des initiatives permettant de développer et d’améliorer les pratiques traditionnelles de soins, nous nous engageons pour un développement endogène des pays africains en matière de santé.

[1]     Selon des chiffres de l’American institute of tropical medicine, 120 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque année à cause d’antipaludéens falsifiés.